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L'Obs
17 septembre 2018
"Dubaï Papers" : derrière le scandale de fraude fiscale, l'ombre du Kremlin
AUTEUR: Caroline Michel-Aguirre
LONGUEUR: 1345 mots
ENCART: C'est un désaccord avec un financier très proche du Kremlin, Aleksei Korotaev, qui a ébranlé la discrète société de gestion de fortune Hélin International.
Entre banques exotiques et commissions occultes.
C'est l'histoire, assez commune, de l'arroseur arrosé. Ou comment la société Helin International, au centre de nos révélations sur les "Dubaï Papers", a été ébranlée par ses relations d'affaires avec un jeune financier russo-suisse, Aleksei Korotaev, réputé proche du vice-premier ministre de la Fédération de Russie et patron du pétrolier Rosneft, Igor Setchine, que certains présentent comme le deuxième homme le plus puissant de Russie, après Vladimir Poutine.
Helin, c'est ce discret gestionnaire de fortune pour aristocrates, chefs d'entreprise et oligarques russes dont "l'Obs" a décrit les méthodes dans les "Dubai Papers". Chèque sans provision de 18 millions d'euros
Basé à Ras al-Khaïmah, Helin International avait porté plainte, fin janvier 2017, contre Aleksei Korotaev pour l'émission d'un chèque sans provision de 18 millions d'euros. Le 10 février, l'homme d'affaires à la carrure de nageur était arrêté à l'aéroport de Dubaï, peu de temps après sa descente d'avion, et condamné, deux jours plus tard, à une peine de trois ans de prison.
Remis en liberté six mois plus tard, avec une condamnation ramenée à une simple amende de 2.000 euros en appel, le financier de 32 ans portait plainte, dans la foulée, contre deux dirigeants d'Helin International pour "escroquerie, détournements de fonds, faux et usage de faux", les accusant d'avoir usurpé sa signature pour effectuer des virements à son détriment. Depuis lors, ces derniers ont été condamnés en première instance à un an de prison, assortie d'une interdiction de quitter le territoire émirati, et les comptes d'Helin International ont été bloqués.
Par un inattendu effet boomerang, cette plainte a plongé Helin dans la tourmente. Les clients ont commencé à demander des comptes sur leurs avoirs bloqués, comme nous l'avait révélé un dirigeant d'Helin International aux Emirats.
Banques exotiques et commissions occultes
La semaine dernière, se sont tenues à Dubaï deux audiences relatives à ces plaintes croisées qui ont levé un voile supplémentaire sur la mystérieuse industrie de l'évasion fiscale et du blanchiment de capitaux. Entre banques exotiques, commissions occultes sur de gros contrats et usurpations de signatures...
Selon les mémorandums internes auxquels nous avons eu accès, les premiers contacts entre les deux parties remontent à l'année 2011. Ancien de HSBC et d'UBS à Genève, Aleksei Korotaev travaille alors au département "Private Banking" d'Emirates NBD, l'une des premières banques émiraties, où il s'occupe de la zone Russie. Il fait la connaissance de Bernard Ouazan, un Français devenu le bras droit d'Henri de Croÿ et chargé de superviser sous les instructions du prince belge le bureau ouvert par Helin à Ras al-Khaïmah.
En plus d'une relation professionnelle, les deux hommes se lient d'amitié. En 2014, le jeune et ambitieux financier quitte la banque émiratie pour se mettre à son compte. Il fait miroiter à Helin International la possibilité de créer un établissement bancaire, la Private Kapital Partner Asset Managment, à l'Île Maurice, pays classé en 2016 par l'ONG Oxfam parmi les quinze pires paradis fiscaux du monde.
Korotaev promet d'apporter des opportunités d'investissements - une mine de diamants en Angola, une banque russe avec des rendements à six mois de 3,5%... et, surtout, le carnet d'adresses de son père, Alexey Korotaev, très bien introduit au Kremlin. Ce que Bernard Ouazan résume dans un mémorandum de mars 2015 :
"Il [Korotaev] m'a expliqué que son père travaille pour le gouvernement russe dans le domaine de l'aéronautique militaire et dans le domaine logistique [...]. Actuellement, il est en cours de finalisation d'un contrat entre la Russie et l'Egypte pour la fourniture d'avions militaires gros porteur [...], le montant du contrat est de 3,5 milliards de dollars sur 5-7 ans."
Il faut notamment répartir des commissions en les faisant transiter par Dubaï, sommes dont une partie (5 à 6 millions d'euros pendant cinq à sept ans) doit revenir à un général égyptien... "Il y a la même opération en cours de finalisation avec l'Algérie", ajoute le cadre d'Helin International. Une autre fois, c'est le dirigeant d'une société canadienne spécialisé dans le trading de charbon qui souhaite créer une société à Ras El-Khaïmah qui "gardera les bénéfices".
Helin International est également intéressé par un investissement dans la banque NCHI à Djibouti, autre paradis fiscal bien connu, dont Korotaev est l'un des fondateurs aux côtés de financiers suisses.
Près de 102 millions d'euros envoyés à l'Île Maurice
De son côté, Helin International accorde des prêts de plusieurs centaines de milliers de dollars pour permettre à son nouveau partenaire de se lancer et promet d'investir l'argent de ses clients dans la future structure : selon nos informations, près de 102 millions d'euros appartenant aux clients d'Helin International sont discrètement envoyés vers l'établissement mauricien. Des fonds à gérer en "bon père de famille", précise un mémorandum de Bernard Ouazan. Ce ne sera pas tout à fait le cas.
A partir de 2016, Helin International commence à nourrir des doutes sur la fiabilité de son partenaire. Il soupçonne le financier russo-suisse d'avoir procédé, sans son autorisation, à des transferts des fonds pour un montant total de 18 millions d'euros. Et découvre dans la presse, début février, que Korotaev a investi plusieurs millions de dollars dans un club de football hollandais, le Roda JC, une modeste formation évoluant en première division, qu'il ambitionne de voir rivaliser dans un futur proche avec l'Ajax Amsterdam et le PSV Eindhoven en s'appuyant sur son conseiller spécial, Nicolas Anelka. Korotaev et Anelka se sont connus à Dubaï, où ils sont voisins.
Aleksei Korotaev avait enrôlé Nicolas Anelka (ici, le 3 février 2017) comme conseiller dans son projet de rachat du Roda JC, un club de football néerlandais. L'arrestation du financier russo-suisse à Dubaï, le 10 février 2017, a ébranlé le groupe Helin. (Marcel Van Hoorn/ANP/AFP)
Une autre partie de l'argent aurait été utilisé pour l'acquisition d'une clinique ophtalmologique à Londres, le London Eye Hospital, dont Korotaev, le père, serait actionnaire, avec deux investisseurs français, Jean-Marie Billiotte et Bernard Lozé, dont le nom est apparu à plusieurs reprises dans l'affaire Bettencourt pour sa proximité avec Eric Woerth. Et si ces investissements avaient été réalisés avec l'argent des clients d'Helin ?
Pressé de rembourser, Korotaev, le fils, finira par signer un chèque de 18 millions d'euros à Helin International. Mais le chèque, déposé à la banque, s'avérera sans provision, et Helin se retournera devant les tribunaux pour chèque impayé, entraînant quelques jours plus tard son arrestation.
Six à sept signatures différentes
Depuis, chacune des deux parties accuse l'autre d'avoir usurpé sa signature et abusé de sa confiance. Expertise d'un graphologue du ministère de l'Intérieur d'Abou Dhabi à l'appui, Korotaev a affirmé devant la Cour suprême de Dubaï que des fonds ont été virés au profit d'Helin en contrefaisant sa signature. La société financière a demandé une contre-expertise à une experte assermentée auprès de la cour d'appel de Paris, laquelle a conclu que la signature présente sur l'ordre de virement était bien celle de Korotaev, qui utiliserait six à sept signatures différentes.
Alors que de nouvelles audiences dans ces deux dossiers parallèles doivent se tenir début octobre, le financier russo-suisse est toujours interdit de quitter Dubaï et s'est pourvu devant la Cour suprême de Dubaï pour contester l'amende de 2.000 euros. Contacté par "l'Obs", il n'a pas souhaité commenter les procédures en cours.
De leur côté, les dirigeants d'Helin International aux Emirats restent livrés à eux-mêmes. Leurs deux donneurs d'ordre étant aujourd'hui mis en examen dans des procédures judiciaires, Bernard Ouazan en France pour "blanchiment d'abus de biens sociaux et de fraude fiscale en bande organisée" et "complicité d'abus de biens sociaux" et Henri de Croÿ en Suisse pour "abus de confiance et gestion déloyale".
Caroline Michel-Aguirre
ma 24 september 2018 om 19:46 - 24 september 2018 om 19:46 # 61078